"On peut supposer que, face à une interdiction du cumul, la
classe politique générera ses Medvedev face aux Poutine, des garde-places soumis
plutôt que des élus indépendants."
La
Commission Jospin qui vient d’être installée a pour objectif la rénovation et
la déontologie de la vie politique. Parmi les questions qu’elle devra aborder
figure le problème du cumul des mandats
qui est l’objet de vives controverses.
L’ACTUELLE LIMITATION DES CUMULS
.La Constitution de 1958 ’a prévu l’incompatibilité entre le mandat
parlementaire et l’appartenance au gouvernement Cependant, devant le
développement considérable des cas de cumul le législateur a renforcé l’interdiction
des cumulions en 1985 et 2000.
Le mandat de parlementaire est désormais incompatible avec l’appartenance
au Parlement européen ainsi qu’avec l’exercice de plus d’un des mandats
suivants : conseiller régional, conseiller à l’Assemblée de Corse, conseiller
général, conseiller de Paris, conseiller municipal d’une commune de plus de
3.500 habitants. Cependant, il n’y a pas de limitation des mandats dans les
organismes de coopération entre collectivités territoriales qui se sont
multipliés (communautés urbaines, de communes, d’agglomération, syndicats
mixtes ou intercommunaux).
D’autres incompatibilités de mandats
sont fixées par des textes :
-avec des fonctions publiques non électives : membre du Conseil
constitutionnel, du Conseil économique, social et environnemental, du Conseil
supérieur de la magistrature, du Conseil supérieur de l’audiovisuel, d’un
conseil de Gouvernement d’une collectivité d’outre-mer, magistrat,
fonctionnaire autre que de l’enseignement supérieur ;
- avec des activités
professionnelles qui pourraient engendrer des conflits d’intérêts
(direction et membre de conseil d’administration d’entreprises nationales,
d’établissements publics nationaux, d’entreprises travaillant avec l’État
ou les collectivités publiques, avocat plaidant contre l’État ou la
puissance publique).
Mais
les réformes n'ont pas touché au cumul du mandat de
parlementaire avec celui de maire ou de président de conseil général ou de
conseil régional.
L’ETENDUE DU CUMUL
Durant la dernière législature, plus de 80 % des
parlementaires français étaient en situation de cumul Près de la moitié des
députés étaient maires ou présidents d'un exécutif territorial. (Olivier Nay)
Parmi les 207 cumulards – sur les 297 députés du
groupe socialiste de l'Assemblée nationale –, 146 ont un mandat local, 49 en
ont deux, et 12 en ont trois, selon le décompte du Monde.
Le cumul est ainsi bien
ancré dans la situation politique française. François Hollande s’est engagé
dans ses propositions à faire voter une loi limitant le cumul des mandats. Et
chacun de flétrir les cumulards alors que l’on peut se demander si les cumulants
ne sont pas la traduction d’une
nécessite politique
SUS AUX CUMULARDS
Les critiques ne manquent
pas à l’égard des cumulards. Ils représenteraient une perversion du système
politique. Leurs détracteurs invoquent plusieurs arguments pour dénoncer le cumul.
La
concentration des mandats électoraux au profit d'une caste fermée de
représentants est une anomalie dans une démocratie
Le cumul provoque l'absentéisme chronique des parlementaires en
dehors des périodes de séance plénière des mardis et mercredis.
Le cumul est en outre un obstacle au renouvellement de
la classe politique française. La vie
politique est confisquée par une caste d’élus qui trustent les mandats.
L’enracinement local des élus les enferme dans une
vision terre à terre des problèmes et ne leur permet pas d’exercer avec toute
la hauteur nécessaire le vote des lois
et le contrôle du gouvernement.
Dés lors la cause serait entendue : il faut éradiquer
le cumul et pourchasser les cumulards
DES CUMULANTS UTILES
On peut aussi considérer que les cumulants jouent un
rôle utile dans le système politique. Ils y apportent
leur connaissance de l’univers local. Ils expriment les vœux de la base et évitent
une approche trop technocratique des problèmes. Leur enracinement local leur
permet également de mieux faire face aux contraintes matérielles et financières
de l’exercice des mandats
QUELLE REFORME ?
Périodiquement,
des réformes institutionnelles sont proposées comme la panacée pour régler les problèmes
de la vie politique comme ce fut le cas pour le passage du septennat au
quinquennat. On en attendait monts et merveilles et on n’a réussi qu’à
déséquilibrer la position du Président à, l’égard du Premier ministre. On peut
se demander, de même, si la limitation du cumul des mandats est une solution aux
problèmes institutionnels.
On peut imaginer que la classe politique trouvera un
moyen pour contourner une éventuelle interdiction de cumul. On a vu par exemple
comment l’interdiction du cumul des fonctions de ministre et de député ou de sénateur
a été contournée par la classer politique soit en obligeant le suppléant à
signer une démission en blanc, soit en interdisant au suppléant de se présenter
contre le titulaire initial du siège. On peut supposer que, face à une
interdiction du cumul, la classe politique générera ses Medvedev face aux Poutine, des garde-places soumis plutôt que
des élus indépendants.
On ne négligera pas non plus que le mode de scrutin
législatif impose à l’élu une stricte
implantation locale.
En réalité, ce n’est pas le cumul qui empêche
l’exercice effectif de la fonction des élus mais un déséquilibre des pouvoirs entre les technocrates qui
gouvernent la France et les élus.
Les problèmes les plus importants se rattachent à une
approche déviante de la décentralisation.
Au nom d’une fausse décentralisation, on a renforcé
les pouvoirs locaux sans diminuer les moyens des structures ministérielles
parisiennes. On a également multiplié les niveaux de l’administration
territoriale en créant un foisonnement de mandats dont les adeptes du cumul
n‘ont qu’à se saisir.
Charles Debbasch